La rue des moulins était celle qui partait de la place de l'église et menait à la Seulles, ses lavoirs et ses moulins. (rue du maréchal Montgomery).![]() |
Au pied des remparts de la forteresse |
Creully sur Seulles
Creully sur Seulles et ses environs, des villages aux multiples histoires
Creully sur Seulles - Creulloises et creullois, rue des moulins.
Saint-Gabriel-Brécy ... Un prieuré au moyen âge
Pour donner suite à un appel à projet de la Région
portant sur le numérique, Une maquette du prieuré de Saint-Gabriel, a été réalisée
par Christophe Colliou, de la société Métascan. Elle est la pièce maîtresse de
l’exposition de cet été dans l’église.
L'ensemble des bâtiments d'aujourd'hui faisait écho à ceux du Moyen Âge,
même si certains d'entre eux avaient disparu ou changé de destination. La
maquette permettait de visualiser l'importance du site à l'époque médiévale.
Il nous restait alors à nous pencher sur ce qu'avait été, en général, la
vie dans les monastères bénédictins afin de pouvoir préciser ce que nous
savions de ce qui s'était passé au prieuré. Un aller-retour entre le général et
le particulier.
Ainsi tout au long de l'exposition vous allez pouvoir suivre, dans la
visite du prieuré, frère Godefroy, le cellérier. Il vous présentera la
naissance du prieuré, les grandes lignes de la règle bénédictine qui y était
suivie, les lieux de vie, les repas etc...
Vous découvrirez la journée monastique au travers des
panneaux mais aussi et surtout en regardant le petit film réalisé le
scénographe, Laurent Lamoureux.
![]() |
Détails de la maquette |
Sur Ia maquette quelle était l'emprise de l'église au moment de sa dédicace le second jour des nonnes de juin 1288 à la « sainte et Indivisible Trinité et saint Michel et de tous les anges, sans oublier tous les saints ».
A voir : Recherches architecturales au prieuré de Saint Gabriel Brécy (Creully sur Seulles)
Près de Creully, la fontaine de Secqueville en Bessin
À l'aube des crépuscules du XVIIIe siècle, alors que les ombres du passé se fondaient dans les brumes de l'histoire, se dressait, au cœur du cimetière de cette modeste paroisse, une fontaine d'une réputation miraculeuse. Elle se lovait sous une voûte antique, dont les pierres, usées par les siècles, semblaient chuchoter des légendes oubliées, prêtes à s'effondrer sous le poids des ans.
Malgré l'interdiction solennelle
prononcée par une ordonnance de l'évêque de Bayeux, cette fontaine était le
théâtre d'une assemblée des plus singulières. Les autorités civiles, à leur
tour, durent intervenir pour tenter d'endiguer cette réunion annuelle qui, en
cette année de grâce 1779, s'était tenue un dimanche, le vingt-neuf septembre.
Des foules affluaient des paroisses voisines, attirées par des croyances
tenaces et des traditions ancrées dans les cœurs.
Dans son réquisitoire vibrant, le procureur du roi dépeignait une scène des plus scandaleuses : « Certains, mus par une superstition aveugle, s'y baignent dans les eaux sacrées, exposant au grand jour leur nudité, au grand scandale des âmes pieuses. Ils y plongent même leurs enfants, à peine sortis des langes, les jetant sans pitié dans cette eau glacée, au péril de leur santé fragile. D'autres s'y rendent pour boire, même en plein office divin, du cidre dont plusieurs tonneaux sont écoulés dans un champ voisin des maisons de la paroisse. Certains s'enivrent, y sèment le désordre et, la nuit venue, des rixes éclatent souvent. »
En 1778, le trésorier de l'église,
dans un élan de zèle, avait fait combler la fontaine. Mais quelques paroissiens
récalcitrants, bravant cette décision, percèrent une brèche dans le mur du
cimetière pour accéder à la source sacrée, alors qu'ils auraient pu y parvenir
plus aisément par le chemin. Après cet acte de rébellion, le lieutenant de
police rendit une sentence solennelle interdisant toute assemblée future à
Secqueville, sous quelque prétexte que ce soit, ainsi que les bains et
l'immersion des enfants. Cette sentence fut imprimée et affichée dans les rues
de Caen, à Secqueville et aux alentours.
Mais les habitants, sourds à ces
avertissements, persistèrent dans leurs traditions. Deux ans plus tard, en
1781, la réunion eut lieu à nouveau, le vingt-six août. Le procès-verbal
mentionne que « c'est la date à laquelle elle a lieu chaque année », ce qui
contraste singulièrement avec celle de 1779. Cette année-là, l'assemblée fut
particulièrement animée ; on y but comme à l'accoutumée, mais on y dansa aussi
dans un pré verdoyant. Un certain Angot, qui y vendait du cidre, fut condamné à
une amende de trois livres pour ce délit.
Aujourd'hui encore, la fontaine
subsiste, silencieuse et mystérieuse, sur le bord du chemin, témoin muet de ces
temps révolus, où la foi et la superstition se mêlaient dans un ballet éternel.
1954 - Des êtres venus d'un autre monde se posèrent à Creully (Creully sur Seulles). Des martiens ?
Ce jeudi matin-là, le temps était très sombre et le ciel constellé d'étoiles ; le jour tardait à se lever. Au fond de sa cour, un habitant de Creully fermait la porte de sa cave, d'où il venait de remplir un seau de charbon pour alimenter son fourneau durant la journée.
Soudain, il fut
surpris par une lumière vive qui semblait provenir du jardin voisin. Il posa
son seau et s'avança sans crainte, mais lentement, vers le portillon du
potager. En effet, une lumière éblouissante brillait au beau milieu du jardin
et ne bougeait pas. Il fit quelques pas lorsque, du sein de la boule
luminescente, une forme métallique avança. Était-ce un Martien ? Depuis
plusieurs semaines, des faits similaires s'étaient déroulés dans le ciel de
Normandie, notamment à Bayeux. Le Bessin serait-il également un sujet d'étude
pour des êtres venant d'ailleurs ?
Notre habitant de Creully n'était pas peureux, mais jusqu'à
un certain point. Il fit marche arrière et rentra chez lui, route de
Tierceville, en oubliant son seau de charbon. Après en avoir informé sa femme,
qui ne le crut pas, il dut partir au travail pour sa matinée. Cependant, à
midi, avant de prendre son déjeuner, il retourna dans son jardin et fut
grandement surpris : à la place de la lumière éblouissante se trouvait un
cercle de cendres. Ainsi, une rumeur se répandit dans le bourg de Creully...
Des Martiens venus d'on ne sait où avaient choisi ce village normand pour
visiter notre monde. Cette nouvelle intrusion martienne fit le tour non
seulement de la localité, mais aussi de la région. Certaines personnes allèrent
même ramasser la précieuse trace de la visite des êtres de Mars en récupérant
les cendres laissées par l'engin mystérieux dans des pots. La presse locale et
la gendarmerie se mirent sur le sentier de la guerre (des étoiles).
(Vision hallucinante),
Avant l’aube naissante,
Atterrit…
A Creully.
D’une soucoupe volante
- Oh! Combien éblouissante !
Il sortit aux bords de la Seulles.
Il semblait dire : « Enfin, seul,
Je te vois, je te tiens ! »
Sans doute ce Martien
Enlever une Belle,
Puis piquer vers le ciel
Pour sa lune de miel ?
Des « témoins » de la scène
(On devine leur gêne !)
Tentèrent, dit-on, de contacter
L’énigmatique étranger.
Mais en une nuée lumineuse,
L’engin mystérieux
Piqua droit vers les cieux…
MORALITE
Sur le trottoir,
Comme au lavoir,
Les langues se délièrent
En de nombreux commentaires.
Oh! Personne n’avait rien vu…
Mais certains avaient en-ten-du… !
En ce bon pays du fromage,
Belles qui rêvaient de mariage,
Si de la Vie vous en avez mar…
Voyez là-haut : « En avant … Mars ! »
Epilogue
La peste à Martragny
En
cet été de l'an de grâce 1637, le village de Martragny fut enveloppé d'une
ombre étrange, lourde du poids du ciel. Le 13 juillet, le destin frappa à la
porte de Guillaume Mouillard et de son épouse bien-aimée, les emportant tous
deux dans le silence glacial de la peste. Mais cette fin n'était pas une simple
tragédie ; elle portait en elle la marque redoutable de la justice divine,
celle qui ne frappe jamais sans raison.
Tout
commença dans une maison voisine, où la maladie rôdait déjà, sinistre hôte
indésirable. Là, une âme égarée, prise de peur et de désespoir, fit appel aux
ténèbres. Elle convoqua un homme des ombres, un sorcier. Celui-ci, messager
d’un autre monde, lui souffla à l’oreille un ordre effroyable : transmettre le
fléau pour s’en délivrer.Intérieure de l'église de Martragny
Ainsi
fut fait. La peste changea de mains. Elle frappa un homme venu à la rencontre
du sorcier, en compagnie de Guillaume Mouillard, son parent. Guillaume, lui,
fut épargné par la première attaque, car des prières ardentes s’élevèrent pour
lui, et la maladie s’éloigna un temps.
Mais
le mal, que l’on croit repousser, revient toujours. Le même porteur de peste,
devenu bourreau sans lame, redonna la maladie à Guillaume. Ce dernier, ainsi
que toute sa maisonnée, fut emporté par la fièvre et le souffle noir.
Le
curé de cette paroisse de Martragny rendit compte de ce fait ainsi :
«
J’ai vu. J’ai entendu. Et j’ai soupçonné. Je me rendis auprès de ce porteur de
malheur. Je le réprimandai au nom du ciel, et lui interdis l’entrée de notre
église jusqu’à ce qu’il ait lavé ses fautes par la pénitence. Mais la main de
Dieu ne s’était pas encore retirée. Telle celle qui poursuivit Caïn, elle
pesait sur lui sans relâche. Il perdit l’esprit. Tous l’évitèrent. Il mourut
d’une fin terrible, étranglée par sa propre main. Et ceux qui avaient participé
à ce sombre marché furent, à leur tour, frappés par la colère du Très-Haut.
Avant de mourir, l’homme avoua. Il reconnut, dans une dernière clarté d’âme,
que la mort de Guillaume avait été causée par ses actes. Et Dieu ne détourna
jamais son regard. Je consigne ces faits, car ils sont vrais. Je les ai vus,
vécus, entendus. Que ce témoignage serve d’avertissement : la justice divine
n'oublie ni ne dort, et ceux qui pactisent avec l’ombre doivent s’attendre à
payer le prix. »
Les
24 et 28 septembre de cette même année, la mort, fidèle à son pas feutré,
poursuivit son œuvre en silence. Ce fut d’abord Robert, fils de Guillaume
Mouillard, dans la plénitude de ses 33 ans, qui ferma les yeux au monde. Puis,
quelques jours plus tard, ce fut au tour de Jeanne, son épouse tendre et
dévouée, âgée de 32 ans, de le rejoindre dans l’éternité. Leur départ n’eut
rien de tragique, car il fut baigné de paix et de lumière. Une douce
résignation enveloppait leurs derniers souffles — comme un adieu murmuré à la
vie, sans peur ni regret. Ils avaient aimé, ils avaient espéré, et jusqu’à la
fin, leur foi resta le flambeau tranquille de leur âme. Ils moururent comme ils
avaient vécu : unis, dignes, et le cœur tourné vers le ciel.
Creully sur Seulles - A Creully en 1944, elle témoigne de la libération.
En 1947 elle confia son témoignage à Réné Herval qui le publia avec d'autres récits dans deux tomes d'un ouvrage intitulé: "Bataille de Normandie, récits de témoins". Elle y précisait les phases de la situation au milieu de laquelle elle se trouvait. Elle raconte également l'aspect de la plage de Courseulles en ces journées historiques.
Lors de mes recherches, j'ai retrouvé le manuscrit du témoignage de Simone Rose: le voici:
Aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, j’ai eu l’occasion de consulter un dossier consacré aux festivités en l’honneur du roi Charles X.
|
Aujourd’hui
trente mai mil huit cent vingt cinq
MM. le Maire, adjoint, membres du Conseil Municipal, maison communal du bourg de Creully, auxquels se sont adjoints MM. le curé, juge de paix du canton, lieutenant et adjoint sous-officier de la garde nationale, brigadier de la gendarmerie royale et Receveur d’enregistrement du dit lieu voulant transmettre à la postérité une preuve de leur amour pour le sage et vertueux monarque qui nous gouverne, ont pris la résolution de porter sur le registre des délibérations tenu à la mairie de Creully le présent procès-verbal des fêtes de réjouissances qui ont eu lieu hier dans ce bourg à l’occasion du Sacre de sa Majesté.
Dès le matin
le son des cloches annonce aux français fidèles que nous étions arrivés à ce
beau jour où le meilleur des Rois allait à la face des autres, oint de l’huile
de Clovis, entouré des acclamations de son peuple, renouveler le serment de
vivre et mourir pour le bonheur de ses sujets et le maintien de leurs libertés.
Bientôt les
tambours de la garde nationale réunirent les braves qui la composent pour
servir d’escorte au buste de l’auguste Majesté de Charles X qui fut porté à
l’église entouré de tous les corps constitués, de la gendarmerie et de tous les
habitants de Creully, heureux de pouvoir fixer en cette image les traits du
Prince qui doit faire leur Bonheur.
Cette image adorée fut portée sur une table préparée à cet effet dans le chœur de l’église de Creully, et y rester pendant la messe solennelle du Saint Esprit qui y fut célébrée et le psaume exaudiat qui la termine. Après quoi, rapporté avec la même pompe à la maison commune, ce buste, objet de la vénération publique fut placé sur le piédestal qui l’attendait dans la principale pièce de la Mairie où M. le Maire prononça le discours suivant :
Messieurs
Quel beau jour pour la France, que celui où l’héritier de Saint Louis, le digne successeur d’Henry IV, vient au pied des autels et oint de l’huile Sainte, renouveler le serment de maintenir à jamais le Pacte Sacré de nos libertés et de vivre et de mourir pour notre bonheur ? Conservons toujours dans nos chœurs la mémoire de ce jour heureux ; qu’il devienne pour moi chaque année une occasion de manifester notre amour pour un Prince qui en reçut le premier tribut lorsque n’étant encore que le lieutenant de son auguste prédécesseur, il vint après les orages des révolutions pour apporter la paix et l’espérance qu’il réalise de si bien, aujourd’hui, de cicatriser les plaies.
Plaçons au
milieu de nous son image chérie, pour lui adresser à chaque instant un nouvel
hommage de notre reconnaissance ; cette image adorée rappellera sans cesse
aux administrateurs de cette commune, qu’ils se sont honorés de la confiance du
Souverain que pour la conservation des intérêts de leurs administrés ; aux
organes de la justice, que sa majesté ne leur a confié, la balance des lois que
pour assurer la tranquillité de son peuple ; aux employés des finances,
qui, chargés du recouvrement des impôts, toute vexation envers les
contribuables les rendrait indignes de leur poste ; aux dépositaires de la
force armée, qu’elle n’est dans leurs mains que pour le maintien de l’ordre et
de la paix publique ; enfin à
toutes les classes de la société, que le meilleur des Rois ne peut rendre ses
sujets heureux que par leur concours en obéissant aux lois.
Vive le Roi. Vive à jamais les Bourbons.
![]() |
Charles X |
A deux
heures de relevée les délibérants se réuniront à un banquet qu’ils avaient fait
préparer à leur frais dans un des appartements de la mairie ; la joie la
plus pure inspirée par cette heureuse circonstance présidera toujours à cette
réunion, et devenait à chaque instant plus vive aux cris souvent répétés et si
cher aux français de Vive le Roi ;
le premier toast fut porté par M. le Maire de la manière suivante :
à l’heureux règne de Charles X ; puisse-t-il durer aussi longtemps que
l’amour des habitants de Creully pour ce Prince chéri.
Un autre
banquet avait été offert aux frais de la Commune aux gardes nationaux et aux
gendarmes qui s’y réunissent aux cris de Vive le Roi ; vive les Bourbons.
Ces banquets
se terminèrent le soir par des danses publiques et rien ne troubla la joie de
ce beau jour qui restera à jamais gravé dans la mémoire des habitants de
Creully.
Ainsi arrêté
et signé par les délibérants, un double sera transmis à Monsieur le préfet,
prie de vouloir bien déposer aux pieds de sa Majesté les sentiments de ses
fidèles sujets du bourg de Creully.
Pour copie
conforme
Le Maire
Jacques Paul Benoît MORICE, Maire de Creully |
La Baron de Creully sauvé par la dame de Courseulles
D’après « Les contes de la plage » de Bernard Hue
Odette, belle
comme un matin de printemps, avait la grâce dans l’âme et la lumière dans les
yeux. On la voyait chaque jour, glissant de maison en maison, semant des
aumônes et des sourires. On l’appelait « la bonne damoiselle ». Hélas, une fée
oubliée au berceau lui réservait d’autres épreuves...
Quand son père
mourut soudainement, la jeune fille, alors âgée de seize ans, se retrouva seule
au château. Les longues veillées, peuplées de récits chevaleresques,
nourrissaient ses rêves. Au fond de la cheminée, elle croyait voir se dessiner
les visages de preux chevaliers, et dans l’écho du silence, le pas lourd des
épées d’antan.
Le comte, courtois et séduisant, se montra rapidement assidu, et, après un séjour prolongé, obtint la main d’Odette. Le mariage fut célébré par le vieux chapelain, et la jeune fille devint comtesse de Mautravers, comblée d’illusions et d’espoir.
Mais le conte
de fées tourna vite à l’inquiétude. Le comte, qui avait promis de l’emmener à
la cour puis en Touraine, ne tint pas parole. Prétextant les suites d’un duel,
il retarda sans cesse le départ. Bientôt, il multiplia les absences nocturnes,
partant à cheval accompagné de son écuyer. Le mystère s’épaissit lorsqu’un
matin, il revint seul, menant à la main le cheval de son compagnon. Peu après,
il fit venir un nouvel écuyer, un soudard brutal et grossier, dont la présence
troubla les habitants du château.
Odette, déjà
profondément troublée par les escapades nocturnes de son mari, s’inquiétait de
plus en plus. Attendant un enfant, elle se réfugiait dans la prière, espérant
que la naissance de ce petit être ramènerait la tendresse perdue. Désemparée,
elle confia ses doutes à Jean-Marie, le fidèle domestique de toujours. Celui-ci
partageait ses soupçons et promit de l’aider à découvrir la vérité.
Odette lui
raconta comment, après avoir exprimé sa peine au comte, elle n’avait récolté
que des reproches secs et une fin de non-recevoir. Convaincue que quelque chose
de grave se tramait, elle fit appel à Jean-Marie, certain qu’il serait son
allié le plus sûr dans cette sombre affaire. Le vieil homme accepta sans
hésiter, prêt à tout pour servir celle qu’il considérait comme sa propre fille.
Il lui promit de faire la lumière sur les activités nocturnes du comte avant la
fin de la semaine.
« Que faire ?
» murmurait-il en son for intérieur. « Ah ! si j'avais encore mes jambes
d’autrefois, je les suivrais à la trace, et leurs chevaux n’iraient pas assez
vite pour me distancer ! »
Un soir, voyant les préparatifs de départ du comte et de son serviteur, Jean-Marie alla se tapir dans l’écurie, dissimulé sous un tas de paille. Il était neuf heures lorsque les deux hommes y entrèrent.
— Quels chevaux prenons-nous, Mautravers ? demanda le comte.
— Ceux du château, la course sera brève. D'ailleurs, les nôtres auront à tirer
dur demain soir. Le rendez-vous est fixé au carrefour de Rye, et de là…
Jean-Marie
n’en entendit pas davantage, les hommes quittaient l’écurie.
À l’aube, il
partit en secret, traversant champs et haies pour gagner l’endroit désigné. Il
repéra un fourré dense, à l’angle de deux chemins, et s’y dissimula, prêt à
tout entendre. Les heures passèrent, longues, pesantes. Il doutait déjà,
s’apprêtait à partir, lorsqu’un bruit de sabots attira son attention. Deux
groupes arrivaient par des chemins opposés. Bientôt, une dizaine de cavaliers
se retrouvèrent au croisement.
Ils étaient
jeunes, bien armés, montés sur des chevaux nerveux.
— Le capitaine
est en retard, lança l’un.
— Il se ramollit depuis qu’il a trouvé le confort, ricana un autre.
— Il profite, rétorqua un troisième, car bientôt, il faudra déguerpir…
Mais soudain,
un hennissement lointain se fit entendre.
— C’est lui !
Deux cavaliers
arrivèrent. Jean-Marie tendit l’oreille.
— Bien, tout
le monde est là, dit le chef, Gastechair, des nouvelles de Chavannes ?
— Oui, capitaine. Il m’a chargé de vous dire : « Rien n’a changé. Dans trois
jours, le comte de Sillans et sa clique repartent à la cour. Une fois partis,
plus rien ne nous retient. Je suis las de jouer les espions déguisés en laquais
à Creully. »
— Parfait,
répondit le capitaine. Écoutez, ce soir, nous attaquons le convoi de l’évêque
de Bayeux, sa nièce, et quelques seigneurs qui regagnent leur demeure. C’est
notre dernier coup ici. Ensuite, nous vidons le château de Courseulles et adieu
la Normandie.
— Emmenez-vous
la comtesse ? plaisanta un bandit.
— Qu’en ferais-je ? Une potiche inutile. Et si elle m’entrave trop…
Ils partirent
au galop. Quand le silence revint, Jean-Marie restait là, pétrifié. Tout
s’éclairait : Odette, douce et fière Odette, était l’épouse d’un bandit ! Ce
même homme qu’on croyait noble, n’était qu’un criminel. Il parlait même
d’éliminer sa femme. Jean-Marie sentit la colère lui rendre force et courage.
Il courut sans relâche, gagna le château à minuit, et pénétra par la petite
porte.
Il voulut
d’abord prévenir Odette, mais recula au seuil de sa chambre, anéanti. Il
s’assit, désespéré.
Une main douce
se posa sur son épaule.
— Jean-Marie,
je t’ai vu partir… Entre.
Elle l’emmena
dans sa chambre.
— D’où
viens-tu ? demanda-t-elle.
— Du carrefour
de Rye, balbutia-t-il. Mais je ne peux, je n’ose… Malédiction sur moi, sur
cette tante imprudente qui l’a hébergé, sur ce jour funeste où il entra ici…
— Jean-Marie,
je t’en supplie… Parle. Je veux savoir. Je dois savoir.
Alors il
parla. Il lui raconta tout. Odette s’écroula en pleurs.
— Que faire,
mon Dieu ? murmura-t-elle, anéantie.
— Je vais
prévenir votre cousin à Creully, répondit Jean-Marie.
— Va… mais
n’oublie pas… c’est le père…
Il partit
aussitôt. Une heure plus tard, il était reçu par les gardes de Creully. Il
parla longuement avec le comte. À l’aube, il était de retour. Peu après,
Mautravers et son écuyer rentrèrent, confiants. Une heure plus tard, douze
hommes d’armes s’arrêtèrent à la grille. Conduits dans la chambre, ils
réveillèrent Mautravers.
— Levez-vous,
capitaine de Mautravers. Vous êtes attendu à Creully.
![]() |
Les oubliettes du château de Creully. |
Jean-Marie
resta jusqu’à ce que le dernier cavalier disparaisse. Il leva les yeux vers la
fenêtre d’Odette : les rideaux frémissaient.
Arrivés à Creully, Mautravers et ses deux complices furent conduits dans une aile oubliée du château. Une porte basse s’ouvrit… et sous leurs pas, le vide. Ils chutèrent dans les oubliettes. La porte se referma pour ne plus s’ouvrir.
Odette,
accablée, ne vivait plus que pour l’enfant à naître. Quand il vint au monde, ce
fut un garçon. Mais à peine né, sur ordre du baron disait-on, il fut emporté,
et on n’entendit plus jamais parler de lui.
Deux ans plus
tard, Odette se mariait avec le comte de Montbeillard, un vieil homme malade,
qui accepta de lui rendre honneur et nom. Elle le soigna jusqu’à sa mort, puis
consacra sa vie aux pauvres.
Le dindon du cabaretier des environs de Bayeux
Dans les doux environs de Bayeux, alors que la Mi-Carême se préparait à éclore comme une fleur au cœur du printemps normand, un cabaretier — homme jovial au ventre rond et au rire facile — avait acquis un dindon splendide, à la prestance royale et au plumage lustré comme la soie. Il rêvait déjà des festins qu’il inspirerait, des coupes levées à sa gloire, et des visages réjouis autour de ses tables.
Afin d’attirer les villageois vers son
auberge fleurie, il conçut une idée qu’il jugea lumineuse : promener l’animal
dans les rues, tel un prince au défilé, paré d’une pancarte vantant ses
mérites. Il y inscrivit de sa main rustique, non sans fautes charmantes :
« Le dindon que voici sera promener par
le village, à faim que chacun puisse voir cépate, ça ôteur, çà grosseur, ça
graisse et sa kraite. Il sera rotti demein, il sera mangé à une eure, le prix
du diner est de 1 F, sans les zestras. — Il est défendu de toucher l’animal. »
Mais alors qu’il s’apprêtait à coller
l’avis sur le noble volatile, le garde-champêtre de la commune entra, bottes
crottées, moustache droite, et voix grave comme le tambour d’appel. Le
cabaretier, honoré, posa son affiche fraîchement encollée sur une chaise, et
servit deux verres de cidre pour trinquer à la santé de la République.l'orthographe du cabartier
On parla des cultures, des filles à
marier et des rumeurs de la grand-route. Puis, le garde-champêtre, repu de
conversation et de boisson, repartit fièrement, le dos droit et le pas assuré.
Mais soudain, comme un frisson farceur
dans l’air du village, une étrange agitation monta. Des rires, d’abord
étouffés, s’échappaient des ruelles. Les enfants gloussaient, les femmes
cachaient leur bouche dans leur tablier, et les hommes toussaient pour ne pas
éclater.
Le fonctionnaire, étonné de tant de
gaieté soudaine, fit halte chez l’instituteur, homme lettré et sérieux. Il
entra, salua, mais à peine s’était-il tourné pour refermer la porte qu’un rire
insolent éclata, cristallin, incontrôlable.
Alors il comprit.
L’affiche. La colle. La chaise.
La sentence comique était scellée : la
pancarte vantant le dindon avait trouvé refuge sur la partie la plus exposée —
ou la plus intime — de son uniforme. Et partout où il allait, il arborait
fièrement, sans le savoir, ce message publicitaire.
Rougissant jusqu’aux oreilles, il se
retourna vers l’instituteur :
— « Comment ? Personne ne m’a arraché
cela ? »
Et l’instituteur, avec un calme ironique
et un sourire mal contenu, répondit :
— « Non, certes. L’affiche défend de
toucher l’animal. »