Près de Creully, la fontaine de Secqueville en Bessin

 

À l'aube des crépuscules du XVIIIe siècle, alors que les ombres du passé se fondaient dans les brumes de l'histoire, se dressait, au cœur du cimetière de cette modeste paroisse, une fontaine d'une réputation miraculeuse. Elle se lovait sous une voûte antique, dont les pierres, usées par les siècles, semblaient chuchoter des légendes oubliées, prêtes à s'effondrer sous le poids des ans.


Malgré l'interdiction solennelle prononcée par une ordonnance de l'évêque de Bayeux, cette fontaine était le théâtre d'une assemblée des plus singulières. Les autorités civiles, à leur tour, durent intervenir pour tenter d'endiguer cette réunion annuelle qui, en cette année de grâce 1779, s'était tenue un dimanche, le vingt-neuf septembre. Des foules affluaient des paroisses voisines, attirées par des croyances tenaces et des traditions ancrées dans les cœurs.

Dans son réquisitoire vibrant, le procureur du roi dépeignait une scène des plus scandaleuses : « Certains, mus par une superstition aveugle, s'y baignent dans les eaux sacrées, exposant au grand jour leur nudité, au grand scandale des âmes pieuses. Ils y plongent même leurs enfants, à peine sortis des langes, les jetant sans pitié dans cette eau glacée, au péril de leur santé fragile. D'autres s'y rendent pour boire, même en plein office divin, du cidre dont plusieurs tonneaux sont écoulés dans un champ voisin des maisons de la paroisse. Certains s'enivrent, y sèment le désordre et, la nuit venue, des rixes éclatent souvent. »


En 1778, le trésorier de l'église, dans un élan de zèle, avait fait combler la fontaine. Mais quelques paroissiens récalcitrants, bravant cette décision, percèrent une brèche dans le mur du cimetière pour accéder à la source sacrée, alors qu'ils auraient pu y parvenir plus aisément par le chemin. Après cet acte de rébellion, le lieutenant de police rendit une sentence solennelle interdisant toute assemblée future à Secqueville, sous quelque prétexte que ce soit, ainsi que les bains et l'immersion des enfants. Cette sentence fut imprimée et affichée dans les rues de Caen, à Secqueville et aux alentours.

Mais les habitants, sourds à ces avertissements, persistèrent dans leurs traditions. Deux ans plus tard, en 1781, la réunion eut lieu à nouveau, le vingt-six août. Le procès-verbal mentionne que « c'est la date à laquelle elle a lieu chaque année », ce qui contraste singulièrement avec celle de 1779. Cette année-là, l'assemblée fut particulièrement animée ; on y but comme à l'accoutumée, mais on y dansa aussi dans un pré verdoyant. Un certain Angot, qui y vendait du cidre, fut condamné à une amende de trois livres pour ce délit.

Aujourd'hui encore, la fontaine subsiste, silencieuse et mystérieuse, sur le bord du chemin, témoin muet de ces temps révolus, où la foi et la superstition se mêlaient dans un ballet éternel.