La peste à Martragny

 

En cet été de l'an de grâce 1637, le village de Martragny fut enveloppé d'une ombre étrange, lourde du poids du ciel. Le 13 juillet, le destin frappa à la porte de Guillaume Mouillard et de son épouse bien-aimée, les emportant tous deux dans le silence glacial de la peste. Mais cette fin n'était pas une simple tragédie ; elle portait en elle la marque redoutable de la justice divine, celle qui ne frappe jamais sans raison.

Tout commença dans une maison voisine, où la maladie rôdait déjà, sinistre hôte indésirable. Là, une âme égarée, prise de peur et de désespoir, fit appel aux ténèbres. Elle convoqua un homme des ombres, un sorcier. Celui-ci, messager d’un autre monde, lui souffla à l’oreille un ordre effroyable : transmettre le fléau pour s’en délivrer.

Intérieure de l'église de Martragny

Ainsi fut fait. La peste changea de mains. Elle frappa un homme venu à la rencontre du sorcier, en compagnie de Guillaume Mouillard, son parent. Guillaume, lui, fut épargné par la première attaque, car des prières ardentes s’élevèrent pour lui, et la maladie s’éloigna un temps.

Mais le mal, que l’on croit repousser, revient toujours. Le même porteur de peste, devenu bourreau sans lame, redonna la maladie à Guillaume. Ce dernier, ainsi que toute sa maisonnée, fut emporté par la fièvre et le souffle noir.

Le curé de cette paroisse de Martragny rendit compte de ce fait ainsi :

« J’ai vu. J’ai entendu. Et j’ai soupçonné. Je me rendis auprès de ce porteur de malheur. Je le réprimandai au nom du ciel, et lui interdis l’entrée de notre église jusqu’à ce qu’il ait lavé ses fautes par la pénitence. Mais la main de Dieu ne s’était pas encore retirée. Telle celle qui poursuivit Caïn, elle pesait sur lui sans relâche. Il perdit l’esprit. Tous l’évitèrent. Il mourut d’une fin terrible, étranglée par sa propre main. Et ceux qui avaient participé à ce sombre marché furent, à leur tour, frappés par la colère du Très-Haut. Avant de mourir, l’homme avoua. Il reconnut, dans une dernière clarté d’âme, que la mort de Guillaume avait été causée par ses actes. Et Dieu ne détourna jamais son regard. Je consigne ces faits, car ils sont vrais. Je les ai vus, vécus, entendus. Que ce témoignage serve d’avertissement : la justice divine n'oublie ni ne dort, et ceux qui pactisent avec l’ombre doivent s’attendre à payer le prix. »

Les 24 et 28 septembre de cette même année, la mort, fidèle à son pas feutré, poursuivit son œuvre en silence. Ce fut d’abord Robert, fils de Guillaume Mouillard, dans la plénitude de ses 33 ans, qui ferma les yeux au monde. Puis, quelques jours plus tard, ce fut au tour de Jeanne, son épouse tendre et dévouée, âgée de 32 ans, de le rejoindre dans l’éternité. Leur départ n’eut rien de tragique, car il fut baigné de paix et de lumière. Une douce résignation enveloppait leurs derniers souffles — comme un adieu murmuré à la vie, sans peur ni regret. Ils avaient aimé, ils avaient espéré, et jusqu’à la fin, leur foi resta le flambeau tranquille de leur âme. Ils moururent comme ils avaient vécu : unis, dignes, et le cœur tourné vers le ciel.