Le dindon du cabaretier des environs de Bayeux

 

            Dans les doux environs de Bayeux, où la Mi-Carême se préparait à éclore telle une fleur délicate au cœur du printemps normand, un cabaretier, homme au rire franc et au ventre généreux qui tremblait à chaque éclat de joie, avait fait
l'acquisition d'un dindon magnifique. Ce volatile, d'une prestance royale, arborait un plumage si lustré qu'il semblait tissé de fils de soie. En le contemplant, le cabaretier rêvait déjà des festins qu'il inspirerait, des coupes levées en son honneur, et des visages émerveillés et réjouis autour de ses tables.

Afin d'attirer les villageois vers son auberge fleurie, il conçut une idée qu'il jugea lumineuse : promener le dindon dans les rues du village, tel un prince en procession, paré d'une pancarte vantant ses mérites. Avec sa main rustique, il inscrivit, non sans quelques fautes d'orthographe qui ajoutaient un charme pitoyable au message :

Mais alors qu'il s'apprêtait à coller l'avis sur la noble créature, le garde-champêtre de la commune entra dans l'auberge, ses bottes crottées laissant des traces de boue sur le sol, sa moustache droite et sa voix grave comme un tambour d'appel. Le cabaretier, honoré par cette visite inattendue, posa son affiche fraîchement encollée sur une chaise et servit deux verres de cidre doré pour trinquer à la santé de la République.

On parla des cultures qui pousseraient bientôt, des jeunes filles à marier, et des rumeurs qui circulaient sur la grand-route. Puis, le garde-champêtre, repu de conversation et de boisson, repartit fièrement, le dos droit et le pas assuré.

Mais soudain, comme un frisson farceur dans l'air printanier du village, une étrange agitation se propagea. Des rires, d'abord étouffés, commencèrent à s'échapper des ruelles. Les enfants gloussaient derrière les barrières de bois, les femmes cachaient leur bouche dans leur tablier pour étouffer leurs éclats de rire, et les hommes toussaient discrètement pour ne pas laisser échapper leur hilarité.

Le garde-champêtre, étonné par cette gaieté soudaine, fit halte chez l'instituteur, homme lettré et sérieux, toujours penché sur des livres empilés. Il entra, salua avec respect, mais à peine s'était-il tourné pour refermer la porte qu'un rire insolent éclata, cristallin et incontrôlable, envahissant la pièce de sa mélodie joyeuse.

Alors il comprit.

L'affiche. La colle. La chaise.

La sentence comique était scellée : la pancarte vantant les mérites du dindon avait trouvé refuge sur la partie la plus exposée, ou peut-être la plus intime, de son uniforme. Et partout où il passait, il arborait fièrement, sans le savoir, ce message publicitaire.

Rougissant jusqu'aux oreilles, il se retourna vers l'instituteur, qui, derrière ses lunettes cerclées de métal, observait la scène avec un amusement manifeste.

— Comment ? Personne ne m’a arraché cela ?  S’exclama-t-il, les joues empourprées par l'embarras.

Et l'instituteur, avec un calme ironique et un sourire mal contenu, répondit d'une voix teintée d'une malice contenue :

— Non, certes. L’affiche défend de toucher l’animal.