Le mercredi 6
juin 1858 s’ouvrit sur un silence lourd, presque solennel. Bayeux et les terres
paisibles du Bessin suffoquaient sous une chaleur accablante, comme si le ciel
retenait son souffle, préparant en secret l’inexorable courroux de la tempête.
L’air vibrait d’une tension muette, les feuillages étaient immobiles, et le
moindre bruit semblait résonner à l’infini, suspendu dans une attente
étouffante.
Mais la pluie
n’était qu’un prélude.
Bientôt, le
ciel, dans une furie plus grande encore, fit pleuvoir non plus de l’eau, mais
des pierres de glace, énormes, brutales, d’une blancheur aveuglante. Elles
s’écrasèrent sur les toitures, pulvérisèrent les vitres, éventrèrent les
serres. Les jardins, jadis calmes et féconds, furent saccagés, comme passés au
fil d’une invisible épée. Fleurs et légumes, dans un dernier soupir, se
couchèrent sous les coups implacables. Même l’hirondelle, messagère du ciel,
fut frappée net, son corps frêle brisé dans un ultime vol tragique.
Partout, les
foyers pleuraient. Les ardoises jonchaient les sols, les vitres n’étaient plus
que dentelles brisées, et des morceaux de plâtre pendaient aux plafonds comme
les lambeaux d’un monde en ruine. On se murmurait dans Bayeux que jamais
mémoire d’homme n’avait vu semblable désolation.
Et ce fléau ne
s’était pas contenté de la ville.
Il s’était étendu, comme une bête déchaînée, sur les cantons voisins : Balleroy, Tilly, Ryes, Creully… Là, sur une terre labourée par les cieux, une femme âgée, humble gardienne de sa vache, fut frappée par la foudre. Elle s’effondra sans un cri, fauchée dans une solitude tragique. Sa bête, projetée comme une poupée par une main invisible, gisait plus loin, tremblante et muette, à jamais marquée.
À Creully, un
glaçon gigantesque, large comme un poing d’homme, fut retrouvé : preuve muette
de la colère des cieux. Et pourtant, dans cette mer de larmes et de décombres,
une lueur : les récoltes, disait-on, n’étaient pas entièrement perdues. La
nature, blessée mais vivante, semblait prête à se relever.
Mais les
pommiers, eux, pleuraient déjà leur floraison volée, leurs branches nues
tendues vers un ciel qui ne répondait plus.