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Creully sur Seulles - 1939-1945 - Souvenirs de Bernard Louis, enfant de Creully.

 Des habitants de Villiers le Sec se sont souvenus de la derniere guerre; ils ont rassemblé leurs souveniris dans un ouvrage il y a 20 ans. Propos recueillis par Corinne Jeanne Pasquier, Isabelle Pioline et Jean-Marc Le Marois que je remercie pour ses infos. Un de ces anciens, Bernard Louis, un ami de mon père et de mon grand-père, avait habité Creully. Je publie ses souvenirs en y joignant des documents.


Monsieur Louis est né en 1932 à Fierville-les-Mines, dans la Manche, où son père était ouvrier agricole.

Bernard LOUIS
Sa famille est venue s'installer dans le Calvados en 1937 après que celui-ci ait trouvé un emploi dans une ferme de Creully.

J'ai passé mon enfance et mon adolescence à Creully. Nous habitions au 106, route de Saint-Gabriel. Je suis allé à l'école pour la première fois à la rentrée de 1937.

Je me souviens très bien de la déclaration de la guerre : c'était en fin de matinée, je sortais de l'école, nous avons descendu en rangs la rue des Ecoles, accompa­gnés du maître. Comme à l'accoutumée, il nous a fait traverser la route de Saint- Gabriel, puis il est reparti. En face, un attroupement s'était formé devant le pan­neau d'informations municipales. Le garde-champêtre affichait l'ordre de mobilisation générale. Les enfants lisaient ou commentaient bruyamment l'évé­nement et les adultes avaient le regard abattu, certains retenaient leurs larmes. A la maison, j'ai trouvé maman et grand-mère en pleurs.

Depuis quelque temps, nous entendions parler les grandes personnes et nous attendions
cette nouvelle avec inquiétude. Malgré mon jeune âge, j'ai compris aussitôt que papa allait bientôt partir à la guerre ; c'était le 3 septembre 1939.

Papa nous quitte pour aller à la guerre

Il nous a quittés quinze jours plus tard, après avoir reçu son affectation pour la ligne Maginot. Son départ a été un moment d'une grande tristesse, tout le monde pleurait. Il est sorti de la maison, le cœur lourd, une valise à la main, la musette en bandoulière, pour rejoindre d'autres camarades de Creully et aller prendre le train. Il est revenu en permission pour quelques jours fin 1939 ; je le vois encore arri­ver à pied, venant de la gare d'Audrieu.

Dans un courrier, il nous a dit avoir retrouvé, parmi les soldats de la ligne Magi­not, André Leconte, de Fierville-les-Mines. Plus jeune que papa, il effectuait son service militaire. Mon père avait travaillé à la ferme de ses parents. Ils ont été faits prisonniers ensemble. Nous avons appris plus tard qu'André Leconte s'était évadé, avait traversé la France du nord au sud pour passer en Algérie et rejoindre les Forces Françaises Libres à Londres. En 1944, il a débarqué avec la deuxième DB de Leclerc à Utah Beach, à moins de quarante kilomètres de chez lui. Depuis 1940, sa mère le pleurait : sans nouvelles de lui, elle le croyait mort. Deux jours après avoir débarqué, il arrivait dans la ferme familiale, en jeep, avec des copains pour faire la fête...

Après la guerre, papa nous a souvent raconté que sur la ligne Maginot, l'armée lui avait donné un fusil mais pas de balles. Il était dans l'impossibilité de se défen­dre, d'ailleurs il n'en a pas eu l'occasion.

En juin 1940, il a été fait prisonnier et envoyé dans une ferme à Angerville, dans l'Eure-et-Loir, où il est resté quelques mois. Il a participé à la moisson, surveillé par les Allemands. Avec ma mère, nous sommes allés le voir au début de 1941 ; à cette occasion, j'ai pris le train pour la première fois. Peu après notre visite, il est parti en Allemagne près de Hambourg.

Les Allemands entrent dans Creully. 

Les Allemands sont arrivés à Creully le dimanche 22 juin, en fin de matinée, venant de Caen. L'infanterie avançait en rangs serrés, au pas et sur un air que nous devions entendre souvent par la suite : "Heili, heilo"... Ils nous ignoraient et marchaient fièrement. Certains sont partis en direction de Tierceville, d'autres vers Creullet ; d'autres encore sont passés devant la maison en direction de Saint- Gabriel, tandis qu'une unité restait sur la place de Creully. Des motos ouvraient la route, les troupes à pied suivaient, encadrées par d'arrogants officiers à cheval, puis venaient des chariots bâchés tirés par des chevaux. Il y avait très peu d'en­gins mécaniques.

Les Allemands se sont installés dans les grandes demeures de Creully, notam­ment chez Monsieur Paillaud, dans une maison près de la gendarmerie et au châ­teau de Creullet, où s'est établi l'état-major.

Très vite, ils ont instauré le couvre-feu à 22 heures et l'obligation pour les habi­tants d'obscurcir les carreaux pour que la lumière ne soit pas visible de l'exté­rieur. Ils voulaient éviter que les avions alliés puissent se repérer là nuit grâce à l'éclairage des bourgs et des villes. Maman avait fait peindre nos carreaux en bleu par le voisin.

Des soldats patrouillaient toutes les nuits. Ils passaient devant la maison et fai­saient demi-tour à l'entrée de Creully aux environs de l'actuel carrefour de l'ave­nue des Canadiens. S'ils apercevaient le moindre rai de lumière, ils criaient "Lumière" et les personnes concernées s'exécutaient promptement.

La laiterie Paillaud
Ma mère travaillait deux heures tous les soirs à la laiterie où
elle retournait les camemberts. Elle circulait avec un laissez-passer et se faisait néanmoins contrô­ler quotidiennement, même lorsque les Allemands la reconnaissaient.

D'après ce que je sais, aucun problème majeur n'est survenu entre la population et l'occupant ; nous nous ignorions mutuellement. Pour éviter tout incident, les adultes nous multipliaient les recommandations. Famille, amis, instituteur, maire, jusqu'au curé, tous nous tenaient le même discours : "Surtout, si vous trouvez quelque chose dans la rue, ne le prenez pas, n'y touchez surtout pas ". Tel était le mot d'ordre.

Le fils de M.Hue, Alix, accusé à tort.

Quelques incidents se sont toutefois produits, notamment celui-ci. L'état-major de Creullet disposait de nombreux chevaux dont il fallait parfois réparer le har­nachement. Monsieur Hue,

La magasin de M.Hue, bourrelier.

bourrelier à Creully, était alors appelé et venait accompagné de son fils Alix, âgé d'une quinzaine d'années. Un jour, Alix a été accusé d'avoir saccagé un harnais. Des soldats sont venus le chercher pour le questionner pendant un jour ou deux, puis ils l'ont relâché. L'auteur du méfait avait été découvert : c'était un Allemand !

Une compagnie de SS a séjourné quelque temps à Creully. Tous jeunes, grands et robustes, ils venaient chaque matin dès 7 heures dans un champ en face de notre maison s'entraîner physiquement. Par tous les temps, ils s'exerçaient, torse nu, en bottes et pantalon noir. Les ordres claquaient comme des coups de fouet ; les officiers ne plaisantaient pas avec la discipline.

Le gouvernement de Vichy voulait que l'école inculque aux enfants le culte du maréchal Pétain : sa photo surmontait le tableau noir et nous devions régulière­ment entonner le célèbre "Maréchal, nous voilà".

La corvée des doryphores.

Mais ce qui m'a le plus marqué, c'était la fameuse corvée de ramassage des dory­phores, qui nous occupait des après-midis entiers. Nous partions en rang avec notre instituteur, Monsieur Anne, une boîte métallique de la laiterie Paillaud à la main. Ramasser les parasites adultes ne me dérangeait pas car ils avaient une carapace épaisse, mais les larves... Ah la la, c'était une autre "paire de man­ches" ! Molles et gluantes, elles s'écrasaient facilement et s'agglutinaient en gros paquets sur la face inférieure des feuilles ; c'était écœurant, j'en avais plein les mains. La technique consistait à couper directement la feuille infestée pour la déposer entière dans la boîte. Lorsque celle-ci était pleine, son contenu était brûlé en bordure du champ. Nous sommes allés à plusieurs reprises dans une parcel­le située presque en face de la coopérative de Creully. Lorsque je passe devant aujourd'hui, je me souviens et je souris.

Le soir après l'école, je me rendais chez notre voisin Monsieur Etienne, menui­sier. En l'absence de papa, je le considérais un peu comme mon père adoptif. Il avait caché un poste à galène et vers 21 heures, comme deux vieux complices, nous montions dans sa chambre en cachette écouter sur la BBC les messages codés adressés à la Résistance.

La nourriture de maman.

Dès l'arrivée des Allemands, les restrictions de nourriture ont commencé. Maman travaillait et s'arrangeait pour nous trouver du pain, du beurre, du lait... Elle faisait des ménages chez les

Le moulin de St Gabriel.

propriétaires du moulin de Saint-Gabriel et grâce à eux, obtenait parfois un peu de farine ; le boulanger lui cuisait du pain en cachette. Nous ne mangions pas de viande tous les jours mais notre élevage de lapins et de poules nous en procurait régulièrement. Le plus difficile était le manque de pain : je n'avais droit qu'à 350 grammes par jour, or j'avais bon appé­tit. Fréquemment, maman cuisait de la bouillie de sarrasin qu'elle mettait à refroi­dir dans des assiettes creuses ; le soir, nous la mangions en tranches fricassées dans une poêle. Nous cultivions de nombreux légumes dans notre jardin mais malgré tout, rutabagas et topinambours figuraient souvent au menu. Il nous arri­vait d'acheter des pommes de terre, de la Sterlingen je crois, une variété à gros rendement qui produisait des tubercules blancs grands comme la main. Elle don­nait une purée de mauvais goût, qui ressemblait de la colle.

S'habiller ne nous a pas posé trop de problèmes car maman était couturière. Mais se chausser était par contre difficile. Le cuir et le caoutchouc étaient rares, nous portions des sabots Buhot recouverts d'une bande de peau de lapin ou des galoches à semelles de bois. Des clous plantés dans les semelles par notre voi­sin en ralentissaient l'usure ; nous ne passions pas inaperçus lorsque nous mar­chions dans la rue.

Outre les restrictions, nous avions des obligations vis-à-vis de l'occupant. A par­tir des années 1942-1943, les hommes qui n'étaient pas partis au STO devaient, la nuit, à tour de rôle,

Mission pour garder la voie ferrée.

garder la ligne de chemin de fer, d'Audrieu jusqu'à Bayeux. Un camion de la laiterie conduisait les réquisitionnés chaque soir à Audrieu. Je le revois passer devant la maison, avec une quinzaine d'hommes à l'arrière. J'étais trop jeune pour y aller, mais j'ai entendu les autres raconter comment cela se passait. Ils étaient placés le long de la voie à distance régulière, mais se ras­semblaient de temps à autre pour discuter ou boire une bonne bouteille de Calvados. Ils devaient faire attention car ils étaient surveillés par les Allemands et par la Milice, particulièrement pointilleuse.

Des femmes se rendaient tous les jours au château de Creullet pour éplucher les pommes de terre des Allemands.

Des hommes ont aussi été réquisitionnés pour construire des blockhaus près de Cherbourg. Je me souviens d'un jeune de Creullois envoyé là-bas, une forte tête rebelle à toute autorité. Revenu en permission, il n'a pas voulu repartir. La police allemande est venue le chercher pour le renvoyer à Cherbourg. Il y a subi de nombreuses persécutions : le malheureux n'a pas résisté, il est revenu à Creully mais... "entre quatre planches".

A partir de fin 1943, à l'initiative de Rommel, les Allemands ont commencé à ren­forcer les défenses côtières pour empêcher tout débarquement naval et aérien. Il fallait notamment barrer les zones susceptibles d'offrir des pistes d'atterrissage. Entre Creully et Lantheuil, la plaine longue et plate répondait à ces critères. Ils ont donc décidé de mettre en place une bande d'"asperges" large d'une cinquantai­ne de mètres, reliant Lantheuil à l'actuelle zone artisanale de Creully. Les Allemands ont fait appel à la population locale et ma mère a reçu une convoca­tion de la gendarmerie. Pendant quinze jours, tous les adultes disponibles ont été sollicités pour planter "les asperges à Rommel", des femmes en majorité. Leur rôle consistait à creuser, tous les dix mètres environ, des trous de quarante à cin­quante centimètres de diamètre sur un mètre de profondeur. Pendant ce temps, les hommes dressaient des rondins, qui dépassaient de trois mètres du sol une fois scellés. Maman y allait tous les matins, je venais parfois lui parler et je bouillais intérieurement de la voir travailler si durement. Des sentinelles sur­veillaient les civils et un officier arpentait le chantier sur son cheval, hautain, arro­gant et la cravache à la main.

Les piliers de Creullet
Les pieux provenaient d'une allée de sapins qui reliait l'actuelle salle des fêtes de ViIliers à l'entrée du château de Creullet où se dressent deux hautes colonnes en pierre de taille.
Tous les arbres avaient été sciés à un mètre du sol et des soldats allemands que nous surnommions les "Mongols" les transportaient sur des cha­riots. Cette zone est avérée stratégique puisqu'en juin 1944, les Britanniques y ont implanté un aérodrome avancé, le B9 : le champ d'"asperges" n'a pas résisté aux bulldozers anglais.

Vers minuit dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, nous avons entendu du bruit sur la route.'J'ai écarté discrètement le rideau de la fenêtre de ma chambre pour apercevoir, à la faveur de la pleine lune, des soldats allemands, en tenue de camouflage, avec des branches fixées sur leurs casques. Ils se dirigeaient vers Saint-Gabriel en file indienne, courbés, en longeant les murs de chaque côté de la route. Des camions, des motos et des chevaux attelés les ont dépassés. J'ai appris plus tard qu'ils avaient bifurqué vers Fresnay-le-Crotteur et que toute la garnison de Creully avait pris cette direction.

C'est le débar­quement

Vers cinq heures trente, l'aube pointait quand les premiers avions sont passés au-dessus de nos têtes. Je suis sorti dans le jardin : Monsieur Etienne, notre voisin, était déjà dehors. C'était un ancien de 14-18, il m'a dit : "C'est le débar­quement". Au même moment, une bonne quinzaine d'avions a effectué un lar­gage : des chapelets entiers de parachutes descendaient dans la direction de Courseulles. S'agissait-il d'hommes ou de matériel ? Le père Etienne me dis­ait : "Regarde Bernard, ça descend, ça descend". A distance, nous avons assis­té à un formidable bombardement, avec un flot ininterrompu d'explosions en provenance de la côte, des flashs rouges et jaunes éclairaient l'horizon : c'était beau !

Maman est venue me voir et m'a dit : "Il n'est pas question que tu ailles à l'é­glise ce matin".

Bernard Louis et Alix Hue, parmis les enfants de Choeur.
J'étais enfant de chœur et cette semaine-là, c'était mon tour de répondre la messe.

Toute la matinée, j'ai fait des allers et venues entre la maison et le jardin, pour retrouver le père Etienne qui n'avait pas bougé depuis l'aurore. Les Alliés se rapprochaient, nous percevions plus distinctement les tirs de canons, de mitrailleuses et de fusils. Vers treize heures, nous déjeunions lorsque le père Etienne est entré dans la cuisine pour nous dire : "Les Anglais sont dans le bas de Creully au niveau de la Seulles !". Une demi-heure plus tard, ils entraient dans le bourg et faisaient reculer les Allemands impuissants à empêcher leur progression.

Cinq soldats qui battaient en retraite à bicyclette sont entrés précipitamment dans notre cour, avec les Anglais à 200 mètres derrière eux, à hauteur de la rue des Ecoles. Ils étaient russes et avaient été enrôlés de force dans l'armée alle­mande. Agés d'une cinquantaine d'années, ils fuyaient visiblement les com­bats. Ils ont jeté au pied du mur tout leur harnachement - vélos, fusils, gre­nades - et se sont engouffrés dans notre cuisine. Maman, ma sœur et moi sommes restés un instant pétrifié. Que nous voulaient-ils ? En trois gestes, nous avons compris qu'ils voulaient se rendre : ils ont frappé leur poitrine de l'index, ont levé les mains, puis ont tendu un bras en direction des Britanniques. Le père Etienne est arrivé peu de temps après et nous a dit : "Ne bougez pas, je m'en occupe". Il est sorti et s'est adressé aux premiers soldats anglais qui arrivaient. Par gestes, il leur a fait comprendre que des Allemands étaient dans la maison. Trois soldats sont entrés dans la cour, impressionnants avec leurs visages grimés de noir et leurs casques recouverts de bandelettes de tissu et de branches. Ils nous ont mis en joue et ont lancé aux Allemands l'injonc­tion de se rendre. Ceux-ci sont sortis en levant les bras bien haut. J'étais dans le fond de la cuisine dans l'axe de la porte pour ne pas perdre une miette du spec­tacle. Ma mère me disait : "Cache-toi, pousse-toi, tire-toi !", pendant que ma sœur hurlait dans ses bras. S'il y avait eu une fusillade, j'étais bon. Ils ont emme­né leurs prisonniers et nous ne les avons jamais revus.

Le matériel abandonné est resté plus d'un mois et demi dans la cour.

Mis à part un éclat d'obus dans le clocher, Creully a été épargné. J'ai appris plus tard que si le bourg n'était pas tombé rapidement, il était prévu que l'artillerie de marine alliée nous bombarde à partir de 18 heures.

Une tranchée avait été creusée en face de chez nous, à l'abri d'un mur. Elle faisait plusieurs mètres de long et sur le côté, une banquette avait été taillée dans la terre. L'abri pouvait accueillir une quinzaine de personnes. Il était recouvert de tôles, de fagots de bois et d'une bonne épaisseur de terre. Des "pliches" d'herbe dissimulaient le tout. Nous y avons couché plusieurs nuits, à partir du 6 juin. Y aller était ma hantise et je faisais la comédie tous les soirs. Il était impossible de dormir avec les hurlements poussés par certains "locataires" à la moindre aler­te.

Un Allemand caché dans la charrette de M.Etienne, menuisier.

Le matin du 7 juin, j'ai quitté la tranchée et j'ai traversé la route pour aller prend­re mon petit-déjeuner. Devant l'atelier de Monsieur Etienne, quelques planches avaient été entreposées sous une charrette en réparation. En passant, j'ai enten­du remuer, un Allemand était couché parmi les planches. Il est sorti de sa cachet­te en levant les bras au ciel et s'est rendu aux Anglais qui passaient sur la route. C'était un jeune homme de 18 ans à peine tremblant comme une feuille. Il cher­chait probablement une occasion de se rendre sans se faire tuer.

Creully, un bourg agité.

Tout l'été, le bourg de Creully a été agité car la commune était devenue le cœur du dispositif britannique : Montgomery avait son quartier général à Creullet, les studios de la BBC s'étaient installés au château et plusieurs aérodromes entou­raient notre petite cité. Je n'ai appris tout cela que plus tard ; au moment des faits, je n'avais que douze ans et j'étais trop jeune pour m'en rendre compte.

Les Alliés ont établi de nombreux campements dans les herbages tout autour de Creully. Sur la route de Saint-Gabriel, les champs situés de part et d'autre du che­min étaient couverts de tentes et de dépôts de toutes sortes. Comme tout enfant, j'étais curieux et j'allais souvent me promener dans leurs cantonnements. Des soldats me donnaient de la nourriture et surtout du chocolat vitaminé : que c'é­tait bon ! Mais ce changement d'alimentation a provoqué chez moi, quelque temps après, l'apparition de maladies cutanées.

Jusqu'à la prise de Tilly-sur-Seulles, les tirs de marine passaient au-dessus de nos têtes et d'interminables colonnes d'hommes et de matériels circulaient devant la maison. Les Alliés disposaient de toutes sortes d'engins, du vélo pliant au char, en passant par les jeeps, les camions Bedford, etc. Ils avaient aussi des chenillettes : les Bren carriers, engins maniables et rapides. Parmi les premiers blindés que j'ai vus, beaucoup étaient équipés à l'avant d'un dispositif compo­sé d'un tambour et de chaînes : c'était des engins de déminage. La circulation était ininterrompue dans les deux sens ; les colonnes qui partaient en direction de Coulombs

Au carrefour de la coopérative agricole.

pour rejoindre le front à Tilly croisaient les troupes qui descen­daient se reposer. Je suppose qu'il en était de même sur la route de Caen, mais j'avais l'interdiction la plus formelle de m'aventurer dans le bourg, ce qui ne m'a pas empêché d'y faire quelques escapades...

Une compagnie de transmissions s'était installée sur le terrain de sport à côté du château d'eau. Une alerte aérienne a retenti alors que j'y étais avec deux camarades. Un avion allemand est passé en rase-motte tout en tirant. Je me suis senti soulevé de terre, attrapé en fait au col par un soldat anglais, qui m'a plaqué le long d'un mur et m'a mis un casque sur la tête. L'alerte a duré un quart d'heure environ et je ne me souviens même pas avoir eu peur.

Dix jours après le débarquement, il devait être 13 heures 30, mon copain André Girard et moi "traînions" dans un campement anglais établi dans un champ de pommiers, sur la route de Saint-Gabriel : c'était un dépôt du service d'intendan­ce, où les caisses de rations alimentaires étaient stockées pour être ensuite dis­tribuées aux troupes. Un soldat nous a proposé, par gestes, de nous emmener faire un tour dans son Bedford. Sans hésiter, nous sommes montés dans la cabine et nous nous sommes retrouvés à Arromanches. Il nous a fait descend­re à l'emplacement de l'actuel musée puis il a poursuivi sa route sur la plage : il allait chercher du ravitaillement. Assis au bord de la chaussée, nous l'avons attendu.

Nous étions inconscients des risques encourus, le verrou de Tilly-sur-Seulles n'avait pas encore sauté et nous nous exposions à une attaque aérienne. Pour couronner le tout, ma mère n'était pas au courant de notre escapade.

Mais ce que nous avons découvert nous a émerveillés ! C'était formidable, nous n'avions jamais vu cela, d'ailleurs personne n'avait vu cela auparavant. Des centaines de soldats marchaient vers l'intérieur des terres. Des camions en file indienne descendaient vers la plage, montaient sur des routes flottan­tes pour aller chercher du matériel et revenaient chargés de caisses. Une noria de bateaux à pneus - qui allaient aussi bien sur l'eau que sur terre - effectuait d'incessantes navettes entre les embarcations ancrées au large et la terre ferme. Dans le ciel, de gros ballons ovales protégeaient le port des avions alle­mands. Et surtout tous ces bateaux, des gros, des petits, certains à flot et d'au­tres échoués sur la plage : la mer en était grise.

On aurait dit une immense ruche où chacun savait ce qu'il avait à faire.

En fin d'après-midi, alors que nous commencions à trouver le temps long, le camion nous a repris.

Au-dessus du siège du passager, le toit de la cabine était percé d'un large trou circulaire surmonté d'une mitrailleuse. Nous étions debout sur le siège, le buste hors de la cabine et les coudes sur le toit. Nous avons fait ainsi tout le chemin du retour, fiers comme deux petits coqs. Nous sommes passés par Saint-

Gabriel, et en arrivant à hauteur de l'actuelle coopérative, j'ai aperçu ma mère qui nous cherchait partout depuis le début de l'après-midi. Oh là là, je ne vous dis pas la chanson qu'elle m'a passé en rentrant ! J'ai pris une de ces volées...

Les réprimandes de la veille ne m'avaient pas suffi car dès le lendemain, j'ai réci­divé. Prétextant l'oubli de mon béret, je suis retourné au campement avec André, alors que ma mère venait de me recommander de ne pas traîner en chemin. Nous avons retrouvé le soldat de la veille qui nous a fait la même proposition, aussitôt acceptée. Cette fois, nous sommes allés à Courseulles. Il n'y avait pas de port et les bateaux étaient échoués ou à l'ancre. Nous nous sommes avancés dans l'eau, le camion est allé se placer le long de la coque du navire : l'eau arri­vait à hauteur du moteur. Nous sommes montés à bord où l'on nous a servi - tra­dition anglaise oblige - un excellent thé.

Cela a été ma dernière escapade : deux volées en deux jours, c'était trop !

Les vacances ont passé très vite et bientôt il a fallu reprendre le chemin de l'éco­le, ce qui était moins drôle. L'agitation s'estompait, le trafic diminuait, les Anglais n'occupaient plus que Creullet, le château et quelques campements.

Noël 1944 restera pour moi un merveilleux souvenir. La municipalité avait l'habi­tude d'organiser un arbre de Noël et offrait à chaque enfant un jouet et des frian­dises. Cette année là, j'ai eu une petite voiture de pompier qui se remontait avec une clé. Les Anglais ont également offert des jouets et j'ai reçu en cadeau une magnifique locomotive métallique longue de 60 centimètres, peinte en vert et ornée de dorures. Je la conserve encore aujourd'hui bien précieusement.

C'était un superbe cadeau, mais j'attendais le plus beau avec impatience. Quand allais-je revoir papa ? Nous recevions assez régulièrement des nouvelles mais depuis le débarquement, plus rien.

Mon père est de retours. 

Le mercredi 2 mai 1945, comme les autres jours, j'étais retourné à l'école l'après- midi ; à peine étions-nous rentrés en classe - il devait être 14 heures - que ma mère est entrée. Elle a demandé à parler à l'instituteur, elle avait le visage joyeux. Le maître m'a dit : "Range tes affaires, tu pars avec ta maman". Je me deman­dais ce qui se passait. Dans le couloir, sa main sur mon épaule, maman m'a dit : "Bernard, j'ai une grande nouvelle, papa est rentré, il est à la gare de Caen et nous partons le chercher". Mon cœur s'est mis à cogner très fort dans ma poitri­ne tellement j'étais heureux.

Monsieur Chateigner, le couvreur, nous attendait avec sa voiture. Il s'occupait du rapatriement des prisonniers et avait été informé du retour de mon père. La gare était noire de prisonniers, je n'avais pas vu papa depuis cinq ans mais je l'ai reconnu malgré ses vêtements en lambeaux. Alors là, les embrassades n'en finis­saient plus ! Je n'ai pas de mots pour décrire ce que j'ai ressenti.

Nous avons eu des difficultés pour ressortir de la ville ; de nombreuses routes avaient été détruites par les bombardements.

Dans la soirée, nous étions tous réunis à la maison.

Papa a repris son travail de porcher à la ferme de Monsieur Paillaud et moi, je suis retourné à l'école...


Creully sur Seulles - 1786 - Echange de terres pour un cimetière...



Voici l'acte officiel du transfert de l'ancien cimetière de Creully, de l'emplacement qu'il occupait autrefois au centre du bourg, à celui qu'il occupe maintenant. Certains mots et orthographes sont laissés volontairement comme en 1786.
Extrait des archives départementales du département du Calvados.

Par devant les conseillers du Roy notaires à Caen, sous­signés.
Le vingt sixième jour de septembre mil sept cent quatre-vingt six (1786).
Furent présents, très haut et très illustre, Seigneur, Mon­seigneur Anne Léon duc De Montmorency, premier Baron de France, et premier Baron chrétien, chef des noms et armes de sa maison, prince d'Aigremont, Baron libre de L'empire et des deux Moldaves. Comte de Gournay, Tamarville et Creully, Marquis de Signelay, Crevecœur et Longré, Seigneur de Conrtalaine, La Brosse, Saint Cyr, Manteuil-sur-Marne, Biencré, Précy, et autres Lieux, maréchal des camps et armées du Roi, Menin de feu Monseigneur Le Dauphin, connétable héréditaire de la Province de Normandie; très haute et très illustre dame madame Anne Françoise Charlotte de montmo­rency Luxembourg, duchesse de montmorency, son épouse de lui Bien et dûment autorisé à l'effet des présentes, par la procuration cy après rapportée.
Les dits Seigneur et dame demeurant à Paris en leur hôtel rue Saint Marc paroisse Saint Eustache, stipulés et représentés par Sieur Henry Lais Delavallée, demeurant à Caen, paroisse Saint Pierre, fondé de leurs pouvoirs généraux et spéciaux à l'effet des présentes par procuration passée devant maître Fieffé qui en a gardé minute et son confrère notaires au Châtelel de Paris le deux may dernier, contremarquée ; signer et paraphée entant que de l'expédition par le dit sieur Delavallée et demeurée annexée à la minute des présentes, d’une part.
Et les paroissiens, propriétaires et possédants fonds en gé­néral, du Bourg el paroisse de Creully, stipulés et représentés par messire Thomas De Vauquelin, seigneur et patron de Creullet, messire Charles Nicolas le François, Chevalier con­seiller du roy et avocat de Sa Majesté au Bureau des finances à Caen, messire Jean Baptiste Adan de la Pommeraye écuyer, maître Pierre François Le Lubois avocat, et sieur François Le Lièvre, leurs députés, nommés et revêtus de leurs pouvoirs à l'effet si après, par délibération légalement prise et arrêtée devant maître Le Lièvre notaire à creully Le dix neuf de fé­vrier dernier contrôlée au dit lieu le trois mars suivant.
L'expédition représentée et rendue, d'autre part.
Lesquels dits S. et dame duc et duchesse de Montmorency et les dits paroissiens, propriétaires et possédants fonds de la dite paroisse de Creully, stipulée comme dit est, ont par ces présentes, pour leurs utilités el commodités réciproques, et pour enfin se conformer à la déclaration du Roy de mil sept cent soixante seize et à l'arrêt du Parlement de Normandie du onze Février mil sept cent quatre vingt quatre et au réquisitoire do monsieur le procureur du Roy, touchant les cimetières des Paroisses des villes et des bourgs de la province, fait les échan­ges, cessions, transports et permutations qui suivent savoir.

Les dits Paroissiens, stipulés comme dit est, ont cédé et abandonné aux dits Seigneur et dame duc et duchesse De Montmorency ce accepté pour eux par le dit Sieur Lair Delavallée, et pour en jouir et disposer propriétairement au désir et en conformité des déclaration et arrêt si dessus. Le cime­tière actuel de la dite paroisse de Creully, situé dans le bourg de contenance de dix sept perches ou environ. Et au surplus tel qu'il est et se contient avec les murs de clôture qui en dépendent et sans par les dits sieurs députés pour eux, et la communauté, y faire aucune exception, réserves ni retenues.
Et les dits S. et dame duc et duchesse de Montmorency, stipulés comme dessus, ont de leur chef, et en contre échange cédé et abandonné en toute propriété dès maintenant et à toujours, aux dits Paroissiens, propriétaires et possédant fonds, ce accepté pour leur dits sieurs députés, l’emplacement d'un nouveau cimetière qui sera et demeurera à perpétuité substitué à l'ancien dont la communauté vient de disposer à titre d’échange au bénéfice des dits seigneur et dame duc et duchesse de Montmorency.
L'emplacement de ce nouveau cimetière sera pris à même le terrain des dits seigneurs el dame duc et duchesse de montmorency en la delle de dessus les petits préys à la distance de vingt sept perches des Gables de la maison de Jacques Montégu fils Jacques, le long du chemin du bourg de Creully à Caen, et sur la gauche du dit chemin.


Cet emplacement contiendra et comprendra vingt cinq perches de terre, contiendra et comprendra encore trois pieds de bordage tout alentour, et enfin l’emplacement des murs de clôture qui seront faits comme il va être dit.

Les dits seigneur et dame duc et duchesse de Montmorency enclorent à leurs frais le dit nouveau cimetière, tout autour, de murs de vingt à vingt deux pouces d’épaisseur, au choix de la communauté pour l'épaisseur. Ces murs seront fait à bon mortier de terre, auront dix pieds d’élévation au dessus du sol y compris l’avant mur qui aura un pied de haut au dessus la tablette, lequel avant mur sera fait en bon mortier de chaux, les joints seront également faits ainsi que ceux de tout le corps des dits murs dehors avec le pareil mortier et bon sable. Et sera taillé et bien arrangé pour la plus grande propreté de l'ouvrage, ces murs pour leur plus grande solidité seront garnis de douze en douze pieds de chaunes composés de bonnes pierres de taille de bas en haut.
La porte d'entrée du dit nouveau cimetière, également à la charge des dits sieur et dame duc et duchesse de Montmorency, aura huit pieds de largeur, sera couverte d'un arc en pierres de taille, et recouvert proprement; cette porte sera fermée de deux solides ventaux de bois de chêne, bien pendus et garnis d'une clef, d'une serrure et d'une branche de fer derrière l'un d'eux. Dans le milieu du cimetière les dits seigneur et dame feront placer une croix en Pierre, propre et de bon goût.
Les dits seigneur et dame, duc et duchesse de Montmorency feront pratiquer une voye solide et propre, de douze pieds de largeur sur la longueur de sept perches, qui partira à droite ligne du grand chemin de Creully à Caen et ira rendre à la porte du dit cimetière, qui sera pratiquée dans le milieu du mur de ce côté ; des deux côtés de laquelle voye la com­munauté pourra faire planter deux rangées d'arbres, distants de douze pieds l'un de l'autre, que la dite communauté fera couper et tailler en éventail, afin que les fonds latéraux ne soient couverts par les branches des dits arbres.
Les, choses dessus dites, à la charge des dits seigneur et dame, duc et duchesse de Montmorency, une fois faites et parfaites, elles seront ensuite maintenues et entretenues par la dite communauté, circonstances et dépendances.
L’emplacement de ce nouveau cimetière est situé en la dite paroisse de Creully, et la communauté le tiendra et relèvera des dits seigneur et dame, par droits et devoirs seigneuriaux et comparance aux pieds de gage, duquel l’emplacement la communauté entrera en jouissance au jour de Noël prochain, pour lequel temps seront faites et parfaites les choses dessus dites à la charge des dits seigneur et dame. Et comme il se trouve un espace de terrain depuis la halle à blés des dits seigneur et dame jusqu’à la maison du dit Montégu, qui est en mauvais état et devenu en quelque sorte impraticable depuis les dits seigneur et dame on fait paver la grande place de leurs foires et marchés, ce qui a rehaussé et empêché par là l’écoulement des eaux, la communauté prie les dits seigneur et dame de bien vouloir continuer et prolonger le pavé sur la partie du terrain, tant pour faciliter l’accession du nouveau cimetière que pour rendre d’une manière plus libre et plus commode l’entrée des dites halles et place de foire et marché.

L'ancien cimetière qui fait l'objet de l'échange a pour jouxtes et bornes d'un côté la place du marché, d'autre côté les fossés du château des dits seigneur et dame duc et du­chesse de Montmorency, d'un bout des halles et l'autre l'en­trée du château.
Et l’emplacement du nouveau cimetière, qui fait l'objet du contre échange, a pour jouxtes et bornes, de toutes parts, le domaine des dits seigneur et dame duc et duchesse de Montmorency.
Cet échange et contre échange sont faits but à but, sans soulte ni retour de part n'y d'autre, sont déclarés être d'égale valeur, valoir chacun huit cents livres en capital, et seize cents livres également en capital, tous deux.
Tous les droits quelconques auxquels ces présentes donne­ront ouverture, seront payés par les dits seigneur et dame duc et duchesse de Montmorency; et de la grosse, qui sera remise dans les archives du trésor de la dite paroisse de Creully.
Dont et de tout ce que dessus a été convenu entre les par­ties qui en ont requis acte à elles octroyé et ont signé en l'élude après lecture, ont signé : De vauquelin. Le François, Delà Pommeraye, Le Lubois, F. Le Lièvre. Lair Lavallée, Courcelles et Pillet, notaires, le tout suivant la minute des présentes, en marge de laquelle est écrit : contrôlé à Caen le neuf octobre mil sept cent quatre vingt six reçu (1786) six Livres quinze sols et averty d'acquitter le centième denier au bureau de Creully, dans les trois mois de la date de l'acte à peine du droit en sus.
Signé : De La Prade

La bénédiction du nouveau cimetière a été faite, le dimanche 15 avril 1787, après les vêpres, par M. Mottet, curé de Lantheuil, doyen du doyenné de Creully, en présence de M. de Than, curé de Creully, de M. Marie, son vicaire, et de M. l’abbé Ducey, prêtre originaire de Creully.

Creully sur Seulles - Le notaire de Creully évoque la libération du village le 6 juin 1944.

Il y a plus de 40 ans, les éditions Corlet publiaient l'ouvrage de Jacques Henry : " La Normandie en flammes".
Parmi les chapitres, la délivrance de Creully est évoquée par Me Maurice Fortier, notaire de la localité. En voici des extraits.
« A l’aube de cette journée mémorable du 6 juin, écrit M. Fortier, vers 3 h 30, comme tous les riverains de la côte normande, entre Saint-Vaast et Ouistreham, les habitants de Creully et des communes environnantes, villages proches des plages désormais célèbres, furent réveillés par le déluge infernal du « Débarquement allié », depuis si longtemps attendu, mais que nulle imagination n’avait pu prévoir ce qu’il fut en réalité.

« Le Jour "J” était enfin arrivé.

« Ce grandiose événement est resté si profondément gravé dans la mémoire de tous ceux qui en furent les témoins qu’il leur est aisé de revivre par la pensée ces jours et ces nuits remplis du tonnerre des bombardements, de tremblements de terre, de ruines et de cauchemars.

« Avec le recul du temps, nous nous demandons encore comment Creully, carrefour de routes vers la grande voie Cherbourg-Bayeux-Caen, vers Tilly-sur-Seulles, Caumont, Villers-Bocage, etc., où la bataille fit bientôt rage, n’a pas été complètement détruit dès les premières heures des opéra­tions.

« Dès 7 heures, les troupes allemandes cantonnées dans le village étaient en état d’alerte. Le bruit de leurs bottes et des commandements gutturaux se faisaient fortement entendre dans les rues. Leur excitation était à son comble.
 « Par bonheur, ces troupes ne disposaient que d'une seule batterie d’artillerie, dont une pièce fut tout d’abord mise en position de combat au pied du monument aux Morts, prenant en enfilade la rue d'Arromanches, mais elle ne tira pas et fut bientôt tractée à la sortie du bourg, route de Saint-Gabriel à Bayeux.


« Trois autres canons furent mis en batterie au hameau de Fresnay-Saint-Gabriel, route de Saint-Léger, dans la plaine. Juchés dans les arbres, les Allemands observaient la progres­sion des troupes alliées et ne devaient pas tarder à ne plus se faire illusion sur l’importance de cet “exercice de débarque­ment” et sur le sort qui les attendait.

« Les manœuvres des troupes allemandes, d'ailleurs rela­tivement peu nombreuses, paraissaient bien indiquer qu’elles n’avaient pas l’intention de se battre dans le bourg.

« La population s’attendait avec anxiété à un bombarde­ment par l'aviation ou l’artillerie. Elle restait prudemment dans les abris et souhaitait ardemment l’arrivée des Alliés.

« Vers 15 heures, les premiers soldats canadiens de la 3e division, en l’occurrence ceux du Winnipeg Rifles, firent leur apparition, précédés de tanks, rue de Tierceville, venant de Courseulles par Banville, Sainte-Croix, Colombiers-sur- Seulles.

« L’un de ces tanks envoya des obus dans le clocher contre des observateurs, qui ne s’y trouvaient pas, et y causa quelques dommages sans gravité.

« A peu près dans le même temps, des éléments blindés de la 2e armée britannique (50e division), débarqués entre Asnelles (Le Hamel) et Ver-sur-Mer (La Rivière), vers 7 h 30, descendaient de la plaine de Meuvaines, Crépon, dans la vallée de Creullet (hameau de Creully), suivis de longues colonnes de soldats aux casques recouverts de branchages, marchant à la file indienne.

« Quelques tirs arrosèrent la vallée et les abords de Creully, provoquant des dégâts aux toitures de plusieurs immeubles. Malheureusement, un éclat d’obus blessa mortel­lement une dame âgée qui était sortie de son abri, rue de l’École. Ce fut la seule victime civile de la commune.

« La jonction entre les troupes anglaises — 30e corps d’armée — et canadiennes s’opéra à Creully même, et dans les environs immédiats du bourg, entre 17 et 18 heures. »

Dans La campagne de la victoire, le colonel Stacey précise qu’à 5 heures du soir « le bataillon du Winnipeg Rifles s’était consolidé dans le village de Creully et ses abords L’auteur ajoute :

« Une troupe de chars de l’Escadron « G » du 1er hussars, commandée par le lieutenant W.F. Mac Cormick, troupe qui appuyait le Royal Winnipeg Rifles, aida celui-ci à traverser Creully et continua tout simplement sa route, franchissant Camilly et poussant jusqu’à la limite nord de Secqueville-en- Bessin. En route, elle démolit un char de reconnaissance et infligea des pertes à des groupes de fantassins et M. Mac Cor­mick fut cérémonieusement salué par un soldat qui, de toute évidence, ne s’attendait pas à rencontrer l’ennemi si loin à l’intérieur. Que ces chars de combat aient pu faire une telle incursion et en revenir démontre combien la résistance était faible cet après-midi-là sur le front de la 7e brigade.

« La jonction des forces canadiennes et anglaises à Creully procurait à la tête de pont des zones Juno et Gold un front d'une vingtaine de kilomètres. »

« A 17 h 30, poursuit M. Fortier, Creully était définitive­ment libéré. Trente soldats allemands et polonais, non com­battants, qui se trouvaient encore au château furent alors faits prisonniers sans résistance.

« D’après les déclarations d’un officier anglais, si les Alle­mands avaient résisté dans Creully, le bombardement allié se serait produit à 18 heures... Nous l’avons frôlé de près !

« Dans le courant de l’après-midi de ce même jour, un engagement eut lieu entre la batterie d’artillerie allemande de Fresnay et des tanks canadiens, dont deux furent endom­magés. Il fallut déplorer la mort de trois soldats qui ont été inhumés au cimetière de Creully, puis transférés, plus tard, dans le cimetière militaire de Bény-Reviers.

« Ce même après-midi, un tank allemand (Tigre), qui patrouillait dans le vallon vers Villiers-le-Sec, fut détruit par des chars d’assaut anglais venant de débarquer.

« Ce fut tout pour le même jour.

« Commença dès lors, venant de divers points de la côte et bientôt d’Arromanches, l’interminable et extraordinaire défilé des troupes et du matériel (tanks, véhicules automo­biles de toutes sortes, etc.) stabilisé à quelques kilomètres au sud et à l’est de Creully, en l’attente des batailles de Caen et de Falaise.

« Jusqu’au 19 juillet, date de la libération définitive de Caen, Creully fut à l'écoute des bruits monstrueux de la guerre, bombardement par les avions et l’artillerie, tirs des bateaux de guerre, parmi lesquels, comme nous l'apprenions avec fierté, ceux des unités de la marine française, le Courbet, le Georges-Leygues et le Montcalm, dont les obus allaient labourer les arrières de l’ennemi jusque dans le sec­teur de Tilly-sur-Seulles. Combats de chars d’assaut des sec­teurs de Tilly, Caumont, Villers-Bocage, Caen, etc.



Creully sur Seulles - Juin 1944, les libérateurs détruisent le barrage construit par les Allemands




Pendant la dernière guerre de 39-45, les allemands avaient construit un barrage en béton au niveau du pont de la Seulles entre Creully et Creullet pour inonder la vallée.
Lors de la libération, en juin 1944, les militaires britanniques de la 50e division (Northumbrian) de la Field Company Royal Engineers détruisirent cet ouvrage.
Un film archivé à l'Impérial War Museums (IWM) retrace ce fait.

Nous y voyons  un soldat anglais utilisait une perceuse pneumatique pour casser le barrage.

A proximité, une équipe d'ingénieurs termine la démolition du mur de béton construit et utilise les gravats pour réparer un tronçon de la route adjacente. La caméra enregistre le débit d'eau à travers la brèche faite dans le barrage et les flaques d'eau stagnante situées dans le cours inférieur de la rivière Seulles. En amont, les eaux de crue retombent sur des pommiers à moitié submergés; à l'arrière-plan, on voit le village de Creully.
Vous pouvez visionner ce film copiant ce lien  :  https://film.iwmcollections.org.uk/record/466
Ci-dessous, photos extraites du film:


Le film (un clic ci-dessous) :

1923 - Catéchisme pour les garçons et les filles de Creully (Creully sur Seulles).



Nous sommes en 1923, les enfants de Creully allaient au catéchisme qui était organisé sous la responsabilité de Madame de Druval du château de Creullet. Parmi les documents que m'a fait parvenir  Augustin de Canchy, je vous présente les feuilles de pointage des présents aux cours de "cathé" de l'année scolaire 1923 - 1924.
Mme de Druval



Creully sur Seulles - 1944 - Les souvenirs de Marcel Madelaine.

Son livre


Marcel Madelaine a vécu le dernière guerre et a mis sur papier ses obervations et ses ressentiments pour en faire un livre. 

A la Médiathèque de Mémmoriall de Caen j'ai retrouvé le manuscrit. En voici deux extraits relatant la commune de Creully.

DIMANCHE 16 JUILLET 1944 -

Cette nuit, j’ai dormi comme un loir. Je crois rêver, ne plus entendre le bruit des éclatements d’obus, de la canonnade, enfin la tranquillité, je n’ose y croire, la guerre pour moi est finie.

Au petit-déjeuner : thé - petits gâteaux - fruits. C’est impeccable, ensuite c’est un médecin anglais qui vient faire mon pansement ; dans ce domaine-là aussi ils sont bien organisés. Il me place sur le mollet un pansement complet, autocollant, d’une seule pièce, puis série de piqûres. Derrière lui arrive un officier qui parle un français correct. Il ne peut nous garder ici et nous propose deux solutions ; soit on nous évacue par avion en Angleterre, soit on nous dirige sur BAYEUX où il pense que les Services hospitaliers de la ville peuvent nous accueillir. Après réflexion, j’opte pour BAYEUX, ce sera plus facile pour retrouver la famille.

Creully sur Seulles - Les souvenirs de Marcel Madeleine.
Marcel Madeleine (encerclé)

Ce midi, le déjeuner est aussi copieux qu’hier soir et aussitôt après, en route, des ambulances militaires nous attendent à la porte et au revoir CRESSERONS. A côté de moi, se trouve une bonne sœur caennaise, elle est amputée d’une jambe. Les routes sont aussi encombrées qu’hier c’est impensable la quantité de matériel qui roule, aux carrefours nous attendons parfois près d’un quart d’heure pour passer, à REVIERS, c’est pire encore. Avant d’arriver à CREULLY, il y a dans les champs sur des hectares du matériel de toute sorte, chars, camions, canons, hangars, campements militaires. A Creully, nous sommes arrêtés pendant plus d’une heure sur la place du pays, il y a une animation comme sûrement cette petite bourgade n’en avait jamais connu. Il n’y a aucune destruction par ici. Quelle chance ils ont eu. Enfin nous partons pour BAYEUX, première ville fran­çaise libérée. 

 Autre note

Lorsqu’après avoir quitté La Bon Sauveur dans des conditions dramatiques le 15 juillet 1944, l’ambulance anglaise qui nous conduisait à BAYEUX s’arrêta une bonne heure sur la place du Marché de CREULLY. J’étais loin de me douter que je rencontrerais le Général MONTGOMERY deux ans plus tard, dans ce même petit bourg à la limite du Bessin où mon frère et moi-même, à la demande de Monsieur Ed. PAILLAUD, Maire de Creully, avons créé une petite entreprise d’électri­cité générale.

Recevant en JUIN 1946 le Général Montgomery (devenu entretemps MARECHAL), Madame de DRUVAL, propriétaire du Château de CREULLET, où MONTY installa son P.C. très vite après le débarquement, nous demanda de remettre en état l'installation électrique dans deux chambres destinées au Maréchal et à son Aide de Camp, ce qui fut fait.

A peine les deux hommes étaient-ils rentrés dans leurs chambres respectives pour y passer la nuit, qu’une explosion retentit dans celle du Maréchal. Aussitôt, son aide de camp, pensant à un attentat, appela au secours les gendarmes qui étaient de garde à l’extérieur du Château. Branle-bas de combat, tout cela pour peu de chose ; il n'y avait pas eu d'attentat, mais tout simplement deux ampoules élec­triques que nous avions fournies, avaient explosé et c'est ainsi qu'allant les remplacer, mon frère et moi fîmes connaissance du Général MONTGOMERY qui était en petite tenue - caleçon long et chemise de nuit - . Il avait très bien pris la chose et en riait (chose très rare paraît-il). Très en verve, il nous raconta que quelques jours après avoir installé son P.C., vers le 10 ou 12 JUIN 1944, un matin très tôt, il faisait une promenade à pied en solitaire, derrière le château, quand soudain deux soldats allemands surgirent d’un petit bois proche… ; ces soldats voulaient simplement se rendre, ils n'avaient pas mangé depuis une semaine. Montgomery ajouta qu'il fut sûrement le seul Général d’Armée à faire tout seul deux prison­niers ennemis en pleine bataille.

Dans la magnifique entrée du Château, il y avait un grand tableau supposé être le portrait de Guillaume le Conquérant et le Général Montgomery se comparait à lui en disant : ” Guillaume est allé conquérir l'Angleterre et moi descendant d'un de ses compagnons, je suis venu reconquérir la Normandie.