Sur les traces du centenaire de 120 ans de Lingèvres.

 Nos aïeux étaient des passeurs d’histoire, comme Joseph Eugène Poisson, un membre de ma lignée maternelle qui vivait à Creully au début du XIXᵉ siècle. Ses parents avaient connu, non loin de Tilly-sur-Seulles, un homme qui prétendait avoir plus de 110 ans.

Me voilà donc parti à la recherche de cet homme si âgé.

En ce début du XIXe siècle, niché entre les bourgs pittoresques de Tilly-sur-Seulles et Balleroy, se dressait le village de Lingèvres, où résidait un personnage des plus singuliers. Un lingébrien de cent seize printemps, dont la vitalité déconcertante lui permettait de chevaucher quotidiennement pour exercer son art : celui de guérir les bêtes des fermes environnantes.



Ce guérisseur, que l'on nommait communément vétérinaire, mais qui était en réalité un rebouteux, répondait au nom de Rimbaux. Son véritable nom était François-Germain Thiéloque. Il fut élu notable au Conseil Général de la commune
de Lingèvres le 17 février 1790, devenant ainsi membre de la première municipalité élue conformément à la loi du 14 décembre 1789, promulguée le 16 février 1790.

Ses biens étaient situés au village aux Rimbaux, ou Rimbauderie, d'où lui venait ce surnom de Rimbaux. Ce hameau, encore connu sous le nom de « Les Maures », évoquait peut-être un village de gens extravagants.

En 1803, à l'âge vénérable de cent treize ans, Rimbaux commença seulement à faire usage de lunettes. En 1806, on pouvait encore le croiser sur son cheval, parcourant les chemins de la paroisse. Il avait son anneau sur l'un des murs de l'église, lui permettant d'assister à l'office du dimanche célébré par Charles Boullot, curé de Lingèvres et ancien chapelain de l’abbaye de Cordillon.

En 1810, à l'âge de cent vingt ans, il accompagna les conscrits de Lingèvres à Balleroy. Il fit le voyage à pied et montra durant toute la journée une gaieté juvénile. Ce brave homme, malgré son extrême vieillesse, était encore farceur et aimait à rire et à plaisanter. On admirait ce conscrit d’un genre exceptionnel, dont le seul désavantage était qu’il comptait un siècle de plus que les futurs soldats qu’il accompagnait.

Chaque année, paraît-il, il se rendait, le jour de la Trinité, à la fête Saint-Simon. Était-ce à pied ou monté sur sa vieille jument blanche ? Nous ignorons ce détail, mais c’était pour cet homme jovial l’occasion d’aller au pays natal et de revoir parents et amis. Aux nombreux verres d’eau qu’il absorbait ce jour-là et aux quelques évangiles qu’il faisait réciter à son intention, il devait, prétendait-il, sa santé robuste et sa vieillesse exempte d’infirmités. Ses crédules voisins lui remirent donc, un certain jour, quelque argent afin qu’il plût au bonhomme de faire prier pour eux et de boire quelques rasades supplémentaires pour qu’à leur tour ils fussent préservés de toute maladie. Thiéloque fit bombance avec l’argent d’autrui cette année-là. Il ne rentra à Lingèvres que quelques jours après la fête. À son retour, il fut pris de fièvres. L’année suivante, ses concitoyens ne furent plus si confiants.

Pendant sa longue existence, Rimbaux n'eut jamais de maladie grave. Il s’éteignit en 1812 à l'âge de cent vingt-deux ans. Un médecin de Tilly, venu pour le consulter, ne trouva à son malade aucune affection ni maladie. Il lui demanda où il souffrait et ne reçut pas de réponse. Par trois fois, il répéta sa question et, à la fin, Rimbaux, impatienté, regarda le docteur d’un œil perçant et moqueur et lui dit :

—Vous savez quel était mon métier ? 

Comme le médecin ne lui répondait pas, il ajouta :

    Quand un laboureur m’appelait pour soigner ses bestiaux, les pauvres bêtes ne me disaient pas où elles souffraient et cependant je devinais quelle était leur maladie. 

Il reprit après un léger souffle

    Néanmoins, je vais vous répondre et vous dire ce que j’ai : je suis vieux, usé ; je suis un homme perdu, il n’y a aucun remède. Je vais finir.

 Et l’étonnant vieillard mourut.

Dans les almanachs de l’époque, le nom de Rimbaux est cité à diverses reprises. On n’a pu découvrir son acte de décès, ni à Lingèvres, ni à Hottot. Rimbaux est sans doute décédé dans une commune voisine, probablement dans l'arrondissement de Caen. Il y a quelques années, les vieillards du pays se souvenaient fort bien l’avoir connu.

Depuis Rimbaux, notre arrondissement a vu plusieurs centenaires, mais aucun n’a atteint un âge aussi avancé.

Certains attribuent à notre homme ce remède empirique destiné à guérir de la tranchée rouge « les chevaux, bestiaux, mulets et bourriques » : une cuillerée à café de cendres produites en brûlant quatre vieux souliers, délayées dans une pinte de lait bien chaud, faisait suer l’animal qui absorbait cette potion, le refroidissait comme s’il allait mourir. Au bout de deux heures, la bête revenait à son état normal.

Dans une maison située à Lingèvres, au village de la Rimbauderie, appartenant à Mlle Nicolle, en démolissant de vieux appartements, un ouvrier découvrit un lundi trois belles pièces de 6 francs à l’effigie de Louis XV, portant les dates respectives : 1750, 1765, 1770. Cette maison ayant été longtemps habitée par Rimbaux, décédé dans ce même lieu, on se demande s’il n’aurait pas caché son trésor dans les murs et la charpente de son habitation pendant la Révolution.

Acte de décès constaté par un maire de Lingèvres indique que :

 « "Le dix-neuf mai mil-huit-cent-neuf, à cinq heures et demie du soir, est décédé, en son domicile, à Lingèvres, Monsieur François Thiéloque, profession vivant de son bien, célibataire, âgé de 91 ans 10 mois, né à Sainte-Honorine-des Pertes, fils de feu François Thiéloque et de feu Françoise Auger. "
Confirmation avec son acte de naissance du 20 octobre 1689 de Saintte honorine des pertes.

La principale blague du père Thiéloque dit "Rimbaux" n’aurait-elle pas été d’avoir menti sur son âge ?

Et si le fautif était celui qui rédiga l'état de la polulation de Lingèvres en en 1808 en indiquant que Quéloque (Thiéloque) François avait 119 ans qui vivait au sein de la famille Lecat.