L'Association des notaires retraités du Calvados a publié en 2014 un bel ouvrage sur le Notariat du Calvados pendant la tourmente de juin 1944 où Madame Fortier, épouse de Maurice Fortier, notaire à Creully exprime ses émotions. (Editions Corlet)
Au 6 juin 1944, Me Maurice FORTIER était titulaire de l'office de CREULLY, commune
rurale de 600 habitants.
Madame FORTIER nous
a fait, avec beaucoup d'émotion et de précision, le récit des événements
qu'elle a vécus :
" CREULLY est une charmante cité médiévale dont
le château fort domine de sa puissance altière la vallée de la Seulles, située
à la limite de la plaine de CAEN et du BESSIN, elle a été le point de jonction
des Armées Canadienne et Britannique dès le 6 juin 1944.
Après avoir été clerc au Neubourg pendant 8 ans,
mon mari avait acquis l'étude de CREULLY en septembre 1938.
Il avait à peine fait connaissance avec sa
clientèle, qu'un an après, le 25 août
1939,il fut mobilisé à CAEN où il resta seulement quelques semaines.
Sur le plan notarial, la situation était
désastreuse du fait que le principal clerc et le clerc aux actes courants
avaient été également mobilisés.
Je restais seule avec un clerc stagiaire.
Me LEMPERIERE Notaire à CAEN fut nommé suppléant
de l'office et vint donc à CREULLY une fois par semaine avec un clerc s'occuper
de la clientèle.
M'armant de courage, je pris la comptabilité en
mains et organisai les rendez-vous pour Me LEMPERIERE.
Le 21 juillet 1940, je reçus une lettre de ma
famille me faisant part du décès au front, de mon frère et une autre lettre de
la Croix Rouge française m'avertissant que mon mari était prisonnier à COLMAR,
à la caserne RAPP.
Aussitôt, je pris l'initiative de le faire
évader et le lendemain soit le 22 juillet
1940,je partis pour COLMAR, (plutôt KOLMAR puisque passé en territoire allemand) où, avec la complicité d'Alsaciens
sympathiques qui m'avaient pris en amitié (un contrôleur SNCF et un
fonctionnaire de la KOMANDANTUR, ex préfecture du BAS-RHIN), nous avons pu
mettre au point, après deux autres voyages à KOLMAR, un plan d'évasion qui a réussi, puisqu'en
décembre 1940, il passa la ligne de démarcation à travers des barbelés, grâce
au concours d'un passeur fourni par des Religieuses d'un couvent et se retrouva
à LIMOGES, en France LIBRE.
En juin 1941, il s'enhardit à revenir à CREULLY,
prétextant une libération pour cause de maladie.
Muni de faux papiers, et après des visites à
monsieur le Procureur, au Président de la Chambre et aux gendarmes de Caen et
Creully qui connaissaient l’odyssée de mon mari et le couvraient,
Maurice prit un nouveau départ.
Le
travail s'étant accumulé, on embaucha deux clercs.
Mon
mari se montrait dans CREULLY le moins possible et c'est moi-même qui me
rendais à bicyclette à CAEN, une fois par semaine, dans les différentes
Administrations.
Nous
nous occupions également de confectionner de nombreux colis pour les prisonniers.
A
la maison qui était comprise dans l'enceinte du château, 4 pièces avaient été
réquisitionnées pour loger des officiers allemands.
ET
LE GRAND JOUR TANT ATTENDU ARRIVA.
Dès
3 heures 30, le tonnerre des bombardements nous envahit.
L'excitation
des Allemands était à son comble.
Nous
étions réfugiés dans un abri creusé dans le jardin.
Dès
15 heures, une compagnie de la WINNIPEG
RIFFLES, Unité canadienne qui avait
débarqué à COURSEULLES et BERNIERES le matin, fait son entrée dans CREULLY et
vers 17/18 heures, les Canadiens opérèrent leur jonction avec les Anglais de la
69ème B.I en provenance de VER-SUR-MER et ASNELLES.
CREULLY
était définitivement libéré sans trop de dommages. Notre maison, l'étude et
les archives étaient intacts, mis à part quelques éclats d'obus.
Une
trentaine de soldats allemands et Polonais, qui se trouvaient encore au château,
furent faits prisonniers sans résistance.
Ayant
camouflé pendant toute la période d'occupation, entre poutre et plancher, un
grand drapeau anglais, je le hissais au sommet du monument des anciens combattants
1914-1918 implanté devant la maison.
Notre
maison était complètement envahie par des réfugiés en provenance de CAEN. Il
fallait faire la cuisine pour 25 personnes environ. Personnellement, je fabriquais
des nouilles tous les après-midis.
De
son côté, mon mari avait organisé une cantine pour les réfugiés avec l'aide de
Monsieur Roger MESNIL, épicier en gros à CREULLY.
L'étude
du notaire, sans activité, fut transformée momentanément en Mairie.
Le
8 juin, CREULLY eut l'insigne honneur d'être choisi par le Général B. MONTGOMERY,
chef des armées britanniques, pour y fixer son quartier général.
Il
installa sa célèbre roulotte-campement au château de Creullet, (XVIIIe
siècle) à l'ombre des arbres du parc, près de la pièce d'eau.
Sir
Winston Churchill lui rendit visite le 12 juin, le Général de Gaulle, le 14
juin dans l'après-midi et George VI, roi d'Angleterre, le 16 juin.
C'est
donc tout naturellement que la BBC installa, pour plusieurs semaines, ses
antennes dans la tour des remparts du château de CREULLY, informant ainsi le
monde entier, du déroulement des opérations militaires en cours.
Plusieurs
des officiers anglais affectés à ce STUDIO RADIO étaient hébergés dans notre
maison qui était dans l'enceinte du château.
En l'espace de quelques jours,
nos lits qui avaient servi aux Allemands, étaient utilisés par les Anglais !
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Maître Maurice Fortier (1er
à gauche) en compagnie du Directeur de la BBC lors du passage de ce dernier à
Creully après la Libération |
En
1949, le Général MONTGOMERY devenu Maréchal, revint en France présenter ses
hommages à la châtelaine Madame de DRUVAL.
Mon
mari et moi-même fument invités au château pour un dîner intime.
Malheureusement, nous n'avions pu y participer pour cause de décès dans la
famille, mais nous y fûmes représentés par notre fils Jean-Pierre âgé de 14 ans
que l'on voit d'ailleurs sur la photo en compagnie de Madame de DRUVAL et du
Maréchal MONTGOMERY.
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Jean-Pierre FORTIER (fils
de M FORTIER) au château de CREULLET en 1949 entoré de madame de Druval et du maréchal Montgomery |
Que
de souvenirs !
Par
la suite, mon mari devint Maire de CREULLY et Conseiller Général du canton. Il
fut aussi Président des Anciens Combattants et des Prisonniers de guerre.
Il
décéda en 1982."
Merci à Monsieur Emile Raux, notaire honoraire à Bayeux.